Au terme d'une bataille sans merci, alors que deux Fils du Métal dérobaient le vélo d'Amrodan, le troisième larron -un géant hirsute- le maintenait en l'air d'un bras, et le regardait droit dans les yeux, silencieux. On pouvait lire la colère, mais aussi la résignation sur le visage de l'adolescent, qui avait arrêté de se débattre quelques instants plus tôt.
<< Didou dis-donc, Herk; on pourra amener ce gosse à la Chambre Rouge?!
- Minute, Véhuit... répondit l'intéressé, qui tenait encore Amrodan. Ce gosse peut avoir plus de valeur que ça... Il pourrait faire un bon Fils du Tonnerre. Je prends de l'âge, et je n'ai pas d'enfant à qui transmettre mes connaissances.
- Ouais, bonne idée! rétorqua le troisième. Mais problème: Etron a son Kôr-Igan, et il a les dents assez longues pour convoiter le poste de chef à la mort de Père Ulrich.
- Et?...
- S'il y a de la concurrence de sa génération, il va vouloir l'éliminer. Tu pourras adopter le petit, pas en tant que membre, mais plutôt comme "aide aux travaux". >>
Durant cette discussion, Herk avait peu à peu reposé Amrodan au sol, qui n'avait pas eu cependant la moindre envie de fuir. Cette conversation le captivait.
"Les grands ne sont donc pas tous cons" pensa-t-il. Et ce Kôr-Igan, quel qu'il fut, allait tôt ou tard payer pour sa condition d'esclave, même si ce mot n'avait pas été prononcé explicitement.
Amrodan avait sa fierté...
Les Cahiers d'Amrodan
J'étais devenu le dépositaire de l'expérience d'Herk, et quand il n'était pas là, je devais m'occuper des tâches ménagères, comme le lavage des voitures, ou la manutention d'armes et des locaux. Mais j'allais aussi souvent que possible chez Derek perfectionner mes aptitudes mécaniques et ma conduite sur route. Seulement, Derek accompagnait parfois mon père adoptif en mission. Je me promenais donc sur la voie entre Tinténiac et Combourg (d'après un panneau peu lisible), qui était quasiment impraticable si on n'était piéton. J'y ai vu des choses étranges: des êtres mi-homme, mi-bouc ou mi-cheval, un chien à trois têtes, des oiseaux qui hurlent... Voulant préserver mes découvertes, je lançai quelques rumeurs concernant une "malédiction" dans cette forêt.
Un jour, je m'étais caché dans un fossé pour observer un chat d'un mètre. Une brindille craqua derrière moi; un homme en blouse blanche me regardait. C'était un vieil homme maigre, dont les cheveux blancs tombaient par plaques sur ses oreilles. Son regard brillait d'une telle intelligence que je restais là, hypnotisé par tant de présence. Il s'adressa à moi d'une voix posée:
<< ça fait longtemps que tu viens là, petit?
- Assez longtemps pour avoir balancé tant de rumeurs que tout le monde il veut plus venir par là. >> lui répondis-je sans peur.
Le visage de l'homme s'éclaircit d'un sourire honnête, et il m'invita à le suivre. Il me raconta qu'il vivait en ermite depuis que ses parents sont morts, lui confiant l'histoire de la Catastrophe. Grâce à la science génétique de Ceux d'En Bas, mon ami Jéhov avait réussi à recréer des créatures des Vieux Mythes. Je sentais mon éloignement du Métal au fur et à mesure des visites à Jéhov.
Je prenais le thé accompagné d'une madeleine quand trois hommes investirent la salle et me plaquèrent au sol, une espèce de pistolet sur la nuque.
<< Mes amis! intervint Jéhov. Il ne présente aucun danger. Laissez-moi vous présenter ce jeune homme. >>
Ils me relachèrent après forces parlementations, mais me tenaient toujours en joue. Jéhov me présenta Jeff, soldat, et Daniel et MArtin, scientifiques d'En Bas. Ils venaient tous trois du continent, où les leurs ont constitué de grands complexes souterrains, pour repérer les lieux et ouvrir des postes "Fourmis" en Bretagne.
J'appris auprès d'eux l'histoire réelle du monde, de l'avant Catacjlysme à aujourd'hui. LEs illusions dont on avait bercé ma jeunesse s'envolèrent; nous n'étions que des hommes rescapés sur une Terre ravagée. Tous les dieux auxquels croyaient les clans n'étaient que poudre aux yeux. Si j'avais dit ça à Herk, m'aurait-il cru? Et m'aurait-il pardonné de l'avoir "éveillé"? Je devais aux autres -et à moi-même- de garder cette révélation secrète, tout comme l'existence des Fourmis.[/center]